(*)Redouan Bensliman
Si Montesquieu note dans
« De L’ esprit des lois » qu’il
« faut éclairer les lois par l’histoire et l’histoire par les
lois » , c’est bien que les disciplines juridique et historique sont
intimement lieés. L’élaboration
du droit ne se conçoit en effet qu’en considération du passé : la norme juridique
est toujours créée à partir de constats empiriques témoignant d’une anomalie
qu’il convient de corriger. Plus particulièrement, le droit pénal, en tant
qu’il vise à prévenir et
sanctionner les états dangereux, est nécessairement inspiré par
l’histoire qui lui offre des exemples de comportements potentiellement néfastes
pour la société.
Parmi ceux qui ont étudié
sa pensée, nombreux sont ceux qui ont manifesté leur intérêt pour le contenu
des livres VI et XII de L’Esprit des lois (1748), qui traitent des libertés
civiles en général, et plus particulièrement de la proportion convenable entre
le crime et sa punition. On ne s’est cependant guère interrogé sur les
fondements philosophiques à partir desquels Montesquieu
envisageait le crime et sa punition. Cela tient sans doute à ce que Montesquieu n’est généralement pas considéré comme
un «philosophe», à proprement parler. Il ne fut certes pas un «philosophe »
systématique, à la manière d’un Hobbes,
d’un Locke, d’un Leibniz ou d’un Kant, et il ne s’est pas préoccupé d’inclure, dans
L’Esprit des lois, quelque formulation explicite des principes
philosophiques qui sous-tendent la punition.
Parler de l 'évolution
du droit pénal consiste à parler de cette évolution sur les fondements
historiques, puis philosophiques.
- L’aspect historique :
L’histoire et le droit
pénal se rencontrent en effet essentiellement au regard des deux premières
significations identifiées : si le droit pénal, par son effet dissuasif, a une
vocation préventive, il vise également à sanctionner des comportements qui, par
hypothèse, relèvent du passé. Il n’est pas question en effet de sanctionner par
anticipation, la répression ne pouvant s’attacher qu’à une infraction
consommée.
A première vue, le droit pénal semble donc surtout devoir connaître de
l’histoire au sens de la Geschichte allemande, c'est-à-dire des événements
appartenant au passé. Dans cette acception, la considération temporelle est
cruciale : le droit pénal n’a pas vocation à revenir éternellement sur le
passé, et l’écoulement du temps fait généralement obstacle à la répression.
Mais dans certains cas, le
droit pénal opère un retour en arrière, prenant en considération des faits dont
l’ancienneté aurait pu laisser penser qu’ils échapperaient à l’appréhension du
droit pénal.
Au sens du droit pénal, quels sont donc les faits qui appartiennent à
cette histoire qui peut être qualifiée d’ « événementielle » ? Il n’est pas à
cette question de réponse uniforme, l’étude croisée des dispositions pénales ne
permettant pas de dégager un seuil à partir duquel un fait peut être classé au
rang de l’histoire. Différents mécanismes peuvent néanmoins être pris en
compte : on peut ainsi penser que lorsque la prescription de l’action
publique est acquise, une infraction doit être considérée comme relevant de
l’histoire. Plus donc une infraction est grave, plus elle est longue à entrer
dans le domaine du révolu, et donc de l’impuni. Il est également possible de se
référer à des dispositions plus particulières, comme les textes relatifs à la
diffamation qui prévoient, nous le verrons, que l’écoulement de dix années ou
plus
s’oppose à ce que le prévenu auteur des propos diffamatoires ne
rapporte la preuve de la vérité de ses imputations. Mais l’histoire est avant tout le discours
portant sur la succession des événements ; l’histoire est le récit des faits
passés. A l’origine, l’histoire a en effet pour but de raviver le souvenir du passé
: ainsi Hérodote débute-t-il son récit intitulé Histoires par les propos
suivants : « Hérodote d'Halicarnasse présente ici les résultats de son Enquête
afin que le temps n'abolisse pas le souvenir des actions des hommes et que les
grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les Barbares, ne tombent
pas dans l'oubli ». L’œuvre d’Hérodote, surnommé le « père de l’Histoire » par
Cicéron, a donc essentiellement une vocation mémorialiste. Il s’agit par
l’histoire de garantir la pérennité des événements passés, de faire oeuvre de
mémoire.
Le droit pénal n’a pas
d’autre choix que de connaître du passé, il est de sa nature même de traiter de
faits révolus. Certains de ces faits présentent une dimension particulière, qui
permet de les qualifier d’ « historiques » en raison de leur ancienneté ou du
bouleversement qu’ils ont causé pour l’humanité, ainsi que nous l’avons noté
dans notre tentative de définition de l’histoire. Le droit pénal se doit, cela
a été dit, de « digérer » le passé, celui-ci ne pouvant être ignoré du droit.
Le droit pénal connaît donc de l’histoire dans sa dimension
« événementielle ».
Lorsque le droit pénal
rencontre l’histoire, le contexte est généralement celui de comportements
particulièrement graves pour la société : les règles mises en oeuvre ont donc très
souvent trait aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. Cela
explique, nous l’avons dit, qu’il soit dérogé aux règles habituelles
d’application dans le temps de la loi pénale, mais également que des règles
particulières de procédure soient appliquées.
- L’aspect
philosophique :
Schématiquement, les
philosophies pénales se partagent en deux grandes catégories : l’une est
utilitariste, l’autre, rétributive. Selon la conception utilitariste, les
peines sont, au mieux, un mal nécessaire et le droit de punir ne peut être
dérivé que de ses conséquences utiles. Ce n’est que s’il résultait de son
absence un plus grand mal pour la société tout entière que la punition peut
être justifiée. C’est une tout autre justification qu’avance la position
rétributive.
Les rétributivistes ne font pas
dépendre la justification des peines des estimations conséquentialistes des
utilitaristes, mais de considérations de mérite, de ce qui revient à chacun. Le
rétributivisme est une attitude orientée par la justice, et qui affirme que les
criminels doivent être punis pour ce qu’ils ont fait, même si cela n’a aucune conséquence
dissuasive pour les autres.
Une analyse attentive suggère que
Montesquieu a combiné les deux approches, utilitariste et rétributive, dans
L’Esprit des lois. Il était visiblement convaincu qu’en infligeant une peine on
pouvait accomplir à la fois des buts utilitaristes et des buts orientés vers la
justice 2. A cela s’ajoute l’orientation fortement libérale de sa présentation.
Il soutient que, pour être justifiable, tout système de punition doit permettre
la plus grande extension possible de liberté : en ne criminalisant que les
actions qui portent atteinte à la paix et à l’ordre public, en protégeant les
droits des accusés, en modérant les peines, de façon à ce qu’elles s’accordent
au degré correspondant de gravité du crime. Montesquieu fut donc à la fois
utilitariste, rétributiviste et libéral dans son approche de la question des
peines. Dans la conception rétributive, il trouvait l’essence du droit de
punir, tandis que ses préoccupations utilitaristes et libérales lui
permettaient de mettre en forme sa conception de l’échelle des peines, et de
justifier le besoin de protéger les droits des accusés 3.
L’ouvrage de Cesare Beccaria, « Des délits et des peines »
qui connaît un immense retentissement en France : Voltaire
et Diderot
s'en font les défenseurs . L'auteur y développe une conception libérale
du droit pénal, où l'intervention de l'État justicier doit se limiter à l'essentiel :
« empêcher le coupable de causer de nouveaux dommages à ses concitoyens et
dissuader les autres d'en commettre de semblables »1.
Il y avance également plusieurs idées alors novatrices, dont le principe de
proportionnalité de la peine au délit et la séparation des pouvoirs
religieux et judiciaire. Enfin, il dénonce avec vigueur l'usage de la torture,
des châtiments corporels et de la peine
de mort ; il fait ainsi figure de précurseur du mouvement
abolitionniste1.
La thèse de l'ouvrage, qui peut se résumer par la formule « Pas plus qu'il
n'est juste, pas plus qu'il n'est utile », a fortement influencé la
rédaction du Code pénal révolutionnaire de 1791.
Très influencé, selon sa propre expression, par
« l'immortel » Montesquieu, ainsi que par
Helvétius et les encyclopédistes
français, Beccaria s’intéresse très tôt aux questions liées à l’équité du
système judiciaire.
Il signe son chef-d’œuvre à 26 ans avec Des délits et des peines
(1764-1766), qui pose les bases de la réflexion moderne en matière de droit
pénal et amorce le premier mouvement abolitionniste4.
Certains des arguments avancés sont déjà anciens, mais Beccaria en fait une
parfaite synthèse d’autant plus neuve qu’il se dégage de tout modèle
religieux. Il y établit les bases et les limites du droit de punir
et recommande de proportionner la peine au délit. Beccaria pose aussi en
principe la séparation des pouvoirs religieux et judiciaire. Dénonçant la
cruauté de certaines peines comparées au crime commis,
il juge « barbare » la pratique de la torture
et la peine de mort, et recommande de prévenir
le crime plutôt que de le réprimer.
pour le philosophe britannique Jeremy
Bentham a quant à lui posé les fondements du principe
d'individualisation de la peine, en développant la théorie dite de l'utilitarisme
pénal : la peine doit dissuader le délinquant de commettre son acte, en
faisant en sorte que l'abstention soit plus avantageuse pour lui que le passage
à l'acte (balance des peines et des plaisirs)2.
Selon lui, le juge est le seul à pouvoir infliger la sanction la mieux
proportionnée.
Suivant les théories de Beccaria et les principes énoncés dans la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Code pénal de 1791
s'appuie en particulier sur le principe de légalité,
selon lequel on ne peut être condamné pénalement qu'en vertu de l'existence
d'un texte légal clair et précis.
Ce principe a pour corollaire la non-rétroactivité des lois pénales.
Afin d'éviter les manifestations de l'arbitraire du juge, courantes sous
l'Ancien Régime, ceux-ci sont incités à respecter les peines prévues par le
texte législatif. La peine de mort est maintenue, mais celle-ci « consiste
dans la simple privation de la vie, sans qu'il puisse jamais être exercé aucune
torture envers les condamnés ». Le code prévoit enfin des peines afflictives et infamantes,
dont les travaux forcés à perpétuité ou à temps et
la déportation.
Pour conclure, L’histoire nous apprend
assez que les lois pénales n’ont jamais eu d’effet que comme destruction » .
Ces lois pénales inspirent la crainte qui influence souvent les conduites humaines,
mais la peur des peines séculières risque d’être effacée par la peur encore
plus grande de la damnation éternelle qui attend ceux qui ne se conforment pas
à la loi de Dieu telle qu’ils la perçoivent. Par suite, les peines les plus
dures en matière de religion ne seront pas prises en considération et leur seul
effet sera que «les âmes deviennent atroces »
Il
convient de faire deux observations ;
Premièrement,
le droit pénal tend à imposer une vérité historique, en partant d’un objectif louable,
à savoir la lutte contre les dénaturations et falsifications les plus
outrancières des faits historiques.
Mais le
droit pénal semble pris dans un paradoxe, en ce sens que pour protéger la
vérité historique, il tend à limiter les possibilités de débat ; en définitive,
en imposant une certaine vérité historique, le droit pénal risque d’empêcher
que la connaissance que l’on a de l’histoire progresse, et donc que la vérité
historique soit réellement connue.
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
- «
De l'Esprit des lois» de Montesquieu
-
« Des délits et des peines » de Cesare Beccaria
- «Discours sur les origines et les
fondements de la responsabilité morale en droit pénal», Editions Thémise Inc
2001
Mémoire
-Master de
droit pénal et sciences pénales Dirigé par Yves Mayaud 2010
REVUES DE SCIENCES HUMAINES
-SCIENCE
CRIMINELLE et droit pénal comparé, 1968
- SCIENCE
CRIMINELLE et droit pénal comparé , 1983
-AZEMA J.-P., L'histoire au tribunal,
Le Débat, 1998
SITES INTERNET
https://www.wikipedia.org
www.lph-asso.fr
www.senat.fr
(*) Etudiant chercheur en sciences criminelles et études sur la sécurité a la faculté de droit-Tange